Depuis 2021, l’équipe Act’ice coporte, en collaboration étroite avec l’Agence du Travail d’Intérêt Général et de l’Insertion Professionnelle (ATIGIP), un parcours d’intelligence collective à destination des porteurs de projets oeuvrant dans le champ de l’insertion professionnelle des personnes judiciarisées.
Pour cette troisième édition du Prix, nous vous proposons de découvrir, au fil du déploiement du parcours, les 4 lauréats sélectionnés début 2024. Aujourd’hui, retrouvez l’interview de L’Ilôt, association francilienne oeuvrant depuis plusieurs années auprès des publics justice.
Pouvez-vous présenter votre association en quelques lignes ?
Reconnue d’utilité publique, l’Îlot accueille, héberge et accompagne dans leurs démarches de réinsertion des femmes et des hommes en grande précarité, dont du public justice. Pour y parvenir l’Îlot s’est dotée de plusieurs dispositifs d’hébergement (4 Centres d’hébergement et de réinsertion sociale et un Centre d’hébergement d’urgence), d’accompagnement aux soins, d’Ateliers et chantiers d’insertion (ACI) et autres programmes de retour vers l’emploi.
Depuis sa création en 1969, elle milite pour un changement de regard de la société civile sur celles et ceux qui ont connu la prison. C’est pourquoi elle donne la priorité aux personnes sortant de prison ou sous main de justice. En 2023 l’Îlot a accueilli et accompagné 1 544 personnes dont 55 % de public justice dans ses Centres d’hébergement et de réinsertion sociale, dans ses Ateliers et chantiers d’insertion, et ses dispositifs de retour à l’emploi.
Comment votre association favorise-t-elle l'insertion professionnelle des personnes judiciarisées ?
Pour l’Îlot, un des piliers de la réinsertion est l’accès à l’emploi. Il est nécessaire pour pouvoir prétendre à un logement autonome et s’y maintenir, pour recréer des liens sociaux ou familiaux, pour donner un rythme de vie, pour retrouver une place au sein de la société. Sans emploi, le risque de récidive est important. La prison est un élément important de rupture du parcours professionnel.
Aussi l’Îlot a mis en place à l’arrivée de chaque personne une évaluation des savoirs de base, suivie d’une remise à niveau et offre plusieurs dispositifs de retour vers l’emploi qui permettent de s’adapter aux besoins de la personne, selon ses compétences et aspirations :
Au-delà de la question du retour en emploi, pour favoriser une réinsertion réussie et durable du public justice nous nous appuyons sur la méthode l’Îlot, une méthode d’accompagnement à la fois global et personnalisé. Globale, car elle vise à restaurer les 4 piliers indispensables à une réinsertion réussie : l’emploi, le logement, la santé et les liens sociaux, familiaux. Personnalisé car il s’adapte à la singularité de chacun et travaille avec la personne accompagnée à surmonter ce qui fait obstacle à sa réinsertion.
Les difficultés que rencontrent les personnes au sortir de prison s’entremêlent. Il faut un emploi pour prétendre louer un logement. Il faut une adresse pour décrocher un emploi ou percevoir des allocations. Pour avoir un emploi il faut être en bonne santé. Pour être en bonne santé il faut avoir accès à ses droits et un lieu pour recevoir des soins. Pour faire des démarches il faut savoir utiliser internet et avoir un bon moral. Pour avoir un bon moral il faut avoir des liens sociaux positifs, ne pas être isolé ou en situation de précarité, etc. Les freins sont multiples, se nouent entre eux et réclament un appui solide, une aide compétente pour réussir à les lever.
Vous intervenez déjà auprès des personnes sortant de détention, pourquoi avoir choisi de développer une nouvelle activité dans un établissement pénitentiaire ?
Grâce à nos dispositifs d’accompagnement des personnes sortant de détention, nous avons pu observer que de nombreuses difficultés sont partagées par ce public : situation administrative non mise à jour, accès aux droits limité, faible niveau d’études et nombreuses problématiques de santé. Ces difficultés sont un frein à leur réinsertion.
Développer une activité dans un établissement pénitentiaire permet d’arriver plus tôt dans le parcours de remobilisation socio-professionnelle, de préparer la sortie dès le dedans et ainsi de lutter contre la récidive.
Les participants à l’Atelier et chantier d’insertion implanté dans le Centre pénitentiaire de Beauvais ont d’ailleurs exprimé à quel point cet accompagnement leur était précieux :
Cela permet également de donner accès au travail en détention, un point fondamental lorsqu’on sait que seulement 30% des personnes en détention y ont accès, et ainsi de favoriser la reprise de confiance en soi et le début d’un parcours citoyen.
Quelle place la coopération occupe-t-elle dans le déploiement de vos projets ?
La coopération, la création de partenariats est une des forces de l’Îlot. Au fil des années l’Îlot a tissé des liens de confiance avec l’Administration pénitentiaire, France Travail ou autres pouvoirs publics, nationaux comme locaux, qui reconnaissent son expertise dans l’accompagnement du public justice.
Par exemple, grâce à des conventions, comme celle signée en 2021 avec l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (ATIGIP), qui accorde à l’Îlot une habilitation nationale pour l’accueil de TIGistes, le nombre de personnes condamnées à cette alternative à l’incarcération pouvant bénéficier de notre accompagnement est en constante évolution. Dans le même élan, nous avons développé de nouveaux dispositifs comme les TIG pédagogiques mis en place en 2023 par l’Îlot pour favoriser le retour à l’emploi dans la Somme, en Île-de-France et dans le Var.
Tisser des liens avec les Services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP) nous permet de faire connaître nos dispositifs de retour vers l’emploi et d’hébergement, comme la qualité de notre méthode d’accompagnement. Les Services pénitentiaires d’insertion et de probation, peuvent alors orienter vers nous des personnes sous main de justice désireux d’intégrer un parcours de réinsertion. Grâce à cela des passerelles se font pour fluidifier l’accès du public justice à nos dispositifs ou imaginer des projets innovants comme la collocation thérapeutique dessinée avec la docteure responsable du service de soins psychiatriques de la Maison d’arrêt d’Amiens.
L’Îlot a aussi créé des partenariats avec d’autres associations socio-judiciaires comme Wake Up Café, SPILL, MRS, etc. C’est via des collaborations avec des associations, comme CodePhenix que s’est fait l’ouverture de notre Atelier et chantier d’insertion informatique à Aubervilliers, ou Emmaüs et Solitex’Oise pour celle de notre Atelier et chantier d’insertion textile dans le Centre pénitentiaire de Beauvais. La création de ce dernier Atelier et chantier d’insertion a démontré l’importance de la coopération dans le déploiement du projet. Elle s’est traduite par des partenariats avec l’Administration pénitentiaire, le Service pénitentiaire d’insertion et de probation de Beauvais, la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires (DISP) des Hauts-de-France, et des associations locales.
Pour l’accès aux soins ou à la culture, là encore les liens tissés avec d’autres associations ou institutions sont précieuses : Centres de soins, d’accompagnement, et de prévention en addictologie (CSAPA), Centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD), Centres médico-psychologiques (CMP) locaux, et autres sont des partenaires au quotidien pour assurer une bonne santé de nos résidents. L'Union française des œuvres laïques d'éducation physique (UFOLEP), lycée professionnel L’Acheuléen, et des compagnies théâtrales sont des aides importantes dans l’accompagnement que nous leur offrons.
La fusion des compétences avec les pouvoirs publics, institutions, monde associatif, nous permet de déployer nos compétences.
Pouvez-vous donner quelques chiffres clefs sur votre action ?
En 2023, l’Îlot a accueilli dans ses Ateliers et chantiers d’insertion de la Somme et d’Île-de France 124 personnes dont 48% de public justice. Cette même année, le public justice que nous avons accompagné, tous dispositifs confondus, étaient pour 12,9 % en peine terminée, pour 15,6 % en aménagement de peine, pour 11,2 % en peine principale ou complémentaire en dehors de la prison, pour 44,4 % en peine alternative à la prison et 15,9 % en attente de jugement.
De quoi êtes-vous le plus fier en ce qui concerne votre projet ?
Une source de fierté pour l’association l’Îlot est la capacité à réinterroger sans cesse ses dispositifs en fonctionnement pour les rendre toujours plus performants, plus pertinents et plus adaptés à notre public. La société est en constante évolution, nous aussi. En parallèle nous déployons de nouveaux programmes innovants faisant la jointure entre le « dedans » et le « dehors ».
C’est le cas notamment de l’Atelier et chantier d’insertion dans le Centre pénitentiaire de Beauvais qui est une reconnaissance de l’expertise de l’Îlot dans l'accompagnement des Personnes placées sous main de justice (PPSMJ), comme l’ouverture de la colocation thérapeutique fin 2023 à Amiens, qui permet d’offrir une continuité de prise en charge à d’anciens détenus s’étant investis dans des soins psychiatriques durant la détention, ou encore d’un parcours de remobilisation socio-professionnelle dans et hors les murs qui sera déployé en 2024 en partenariat avec la Région Île-de-France. Cette capacité d’innovation se retrouve aussi dans la création d’un organisme de formation en 2024.
Citez un défi principal dans la réalisation de votre projet
La création d’un Atelier et chantier d’insertion en milieu fermé, au sein du Centre Pénitentiaire de Beauvais, a été un challenge pour l’association. Pour la première fois, nous montions un dispositif dans les murs, de surcroît sur un territoire où l’Îlot n’était préalablement pas implanté.
Nous avons dû trouver une activité pertinente pour les détenus et viable sur le long terme : le recyclage et la valorisation textile. Nous avons pu compter sur l’aide des services de l’Administration Pénitentiaire, et plus particulièrement la Direction du Centre Pénitentiaire de Beauvais, et des partenaires locaux comme Emmaüs et Solitex’Oise.
Pourquoi avoir candidaté au Prix 2D ?
Nous souhaitions pouvoir intégrer un dispositif d’accompagnement et de réflexion spécifique aux associations qui favorisent l’insertion professionnelle des Personnes placées sous main de justice (PPSMJ). Le lien étroit avec l’Agence du travail d’intérêt général et de l’insertion professionnelle (ATIGIP) est particulièrement intéressant et permet de travailler de concert afin de favoriser la réinsertion des PPSMJ. Les sessions collectives et l’accompagnement individuel de l’ATIGIP sont aussi un appui précieux pour le déploiement de nos projets. Enfin, le Prix 2D est source d’inspiration et propice à lier des synergies futures.
En savoir plus sur L’Ilôt :
- Eulalie Ferry Gaye, responsable mécénat et philanthropie : e.ferrygaye@ilot.asso.fr
- Le site internet de l’association
Date de publication : 12 juin 2024